Interview Sophie Brando : architecte associée

Interview Sophie Brando : architecte associée

La création d’agence est-elle accessible pour tous ? Comment concilier vie de famille et carrière ? Sophie Brando, diplômée de l’ENSASE en 1999, revient sur ses ambitions post diplômation, à l’époque loin de penser à monter sa propre agence. Cependant, il semblerait que le milieu rural soit un environnement propice à l’entrepreneuriat !

Bonjour Sophie, pouvez-vous nous présenter votre parcours académique ?

Bonjour, Stéphanoise d’origine, j’ai longtemps trouvé un échappatoire à mes études grâce au dessin et au cinéma. En classe de première j’ai passé le Bafa avec une spécialisation photo, ce qui fut une vraie révélation. À la sortie du lycée, j'ai été acceptée à l'école de la Martinière, en arts appliqués à Lyon, ainsi qu’à l'école d'architecture de Saint-Étienne. J'ai finalement choisi cette dernière car j'avais entrevu des études à la fois artistiques et techniques.

C’est donc en septembre 1992 que j'entre à l’ENSASE (anciennement l'EASE). Ayant du temps libre, j'ai trouvé un stage chez ARCH, une agence stéphanoise. C'est en vivant par procuration le travail en agence que j'ai aimé ce métier et décidé d'aller au bout de ces longues études.

J'ai affermi mon dessin tout en fréquentant régulièrement le labo photo. D’un côté, le dessin, à travers ma main, était déjà le médium d'expression de mes idées. D’un autre côté, la photo, à travers ma vue, est devenue le médium de ma vision du monde qui m'entourait. Quels bons souvenirs dans ce laboratoire photo !

Après de multiples voyages en Europe et une année à Québec, j’ai passé mon diplôme avec William Durand, un copain de promo. Notre projet portait sur l'aménagement de la presqu'île de Giens à Hyères dont je suis originaire, et nous étions dirigés par Dominique Putz. C’est en janvier 1999 que j’ai été diplômée et embauchée chez ARCH.

Comment êtes-vous venue à monter votre agence ?

Je me suis mariée et notre désir était d'avoir une famille nombreuse. Je ne me suis pas posé la question de savoir si c'était compatible avec mon métier. J'avais un grand désir des deux, j'ai  donc "tracé la route" sans plan de carrière.

En 2011, j'ai suivi mon mari qui avait trouvé un emploi à Paray le Monial, en Saône et Loire. J'ai essayé de trouver un poste salarié à temps partiel dans le coin, sans succès. C’est pourquoi je me suis installée à mon compte sous le statut d'auto-entrepreneur, sans trop y croire car je ne connaissais personne. Néanmoins, j'avais pris le temps de créer un site pour présenter mon travail, ce qui m’a valu rapidement l'obtention de mes premiers clients.

Ici, en milieu rural, un architecte est presque comme un médecin, on n'en a pas assez… Le bouche à oreille fonctionne bien, il faut donc faire ses preuves pour être recommandé !

J'ai prêté serment tardivement, et rencontré à cette occasion Mathieu Biberon, un jeune architecte qui s'était installé à Paray deux ans après moi. Nous avons travaillé ensemble sur quelques projets puis avons décidé de nous associer en 2017, pour avoir maintenant trois salariés.

Selon vous, quels sont les ingrédients indispensables à la réussite de la création d'une agence ?

D’une part, se posent des réflexions préalables, comme celle-ci : est-ce que le fait de créer sa propre structure va apporter un mieux dans sa vie, par rapport à la situation actuelle ? D’autre part, créer sa propre structure requiert des qualités humaines : avoir du tempérament, du courage et de la ténacité, mais aussi des compétences. Il faut effectivement être non seulement bon architecte, mais aussi bon communicant, technicien, gestionnaire administratif, et manager si on a des employés. Ce patchwork de qualités et compétences peut être le fruit de rencontres et d’associations.

Concrètement, sur quels projets travaillez-vous ?

Je suis co-gérante, ce qui implique un travail à deux niveaux.

  • Les projets de fond, en collaboration avec mon associé. Cela implique de prendre régulièrement du recul. Quel était notre cap quand nous nous sommes associés ? Gardons-nous ce cap aujourd'hui, ou faut-il le modifier ?

  • Les projets du quotidien. Actuellement, nous avons 47 dossiers en cours : réhabilitation, extension, construction de maisons individuelles, immeubles de logements, bureaux, cabinets médicaux, ateliers, agencement (commerces, aménagement intérieur, création de mobilier)...

La gestion de ces dossiers doit être la plus efficace possible pour pouvoir maintenir la qualité des livrables et leur suivi. Je recherche et rencontre de nouveaux clients, je gère des dossiers en direct, je supervise des dossiers sur lesquels travaillent nos salariés, je prépare les chantiers et assure les réunions, je supervise la partie administrative. Notre rythme, avec mon associé, est de 10 bonnes heures par jour avec parfois des déjeuners d’affaires. Le samedi et le dimanche sont réservés à nos vies personnelles, tout de même !

Quelle est votre vision de l’adéquation vie de famille et carrière ?

Comme sur d'autres plans, "on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre"... c'est un équilibre, parfois précaire, que chacun.e doit trouver selon ses priorités de vie. En ce qui me concerne, je pense que la qualité de notre vie personnelle a un impact direct sur notre travail, et que les besoins sont souvent différents d'une personne à l'autre. Il faut donc pratiquer l'égalité et non pas l'égalitarisme.

Quelle que soit notre responsabilité professionnelle, il faut déjà être clair avec ce qu'on veut, et bien anticiper les conséquences de ses choix. C'est plus simple lorsqu'on exerce à son compte car on est le seul décideur. Lorsqu'on exerce en équipe, il faut préserver l'équilibre de travail global, et trouver des solutions en amont pour assurer d'une autre manière la charge de travail et les responsabilités. Dans notre agence, nous essayons de tendre vers un échange "gagnant - gagnant".

Et après, quelles sont vos perspectives professionnelles ?

En milieu rural il n'y a pas de gros projets mais il y a de la diversité. Nous cherchons à nous impliquer toujours plus dans le paysage local, en essayant à notre niveau de créer de l'activité. Nous appliquons depuis longtemps les règles du bioclimatisme et cherchons à développer le réemploi des matériaux et les circuits courts sur nos chantiers. Au-delà de tous les "éco-concepts", notre but est de travailler avec les ressources humaines et matérielles locales.

À titre personnel, je me sens maintenant légitime à transmettre mon expérience si l'occasion se présente, par le biais de cours, d'ateliers ou de conférences.

Pour le mot de la fin, avez-vous des conseils à donner aux étudiants ?

Le premier conseil, c'est Jean-Michel Dutreuil qui nous l'avait appris : en phase de conception il faut trouver un parti-pris et s'y tenir en intégrant les contraintes. Rien de pire qu'un amalgame d'idées qui n'ont pas de fondement. De même en phase de préparation et de chantier. Cela demande des qualités d'analyse et de synthèse ainsi que de la méthode. L'architecte est un chef d'orchestre, il doit articuler le cahier des charges du client, les contraintes liées au contexte et les savoirs de son équipe d'ingénierie.

Le second conseil vient de Mies van der Rohe : "Less is more". Il faut tendre vers la simplicité, la clarté formelle et matérielle. Supprimer tout ce qui vient perturber la compréhension des volumes et des espaces.

Le dernier conseil serait de ne pas rester seuls ! Il faut sans cesse se mettre en position d'apprentissage et de découverte, ouvrir les écoutilles. Ce métier est tellement riche qu'on apprend sans arrêt. Même en exerçant seul, il faut se cultiver, échanger avec nos confrères et les autres professionnels du bâtiment (BET, entreprises, etc).

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