Interview Pauline Chavassieux : cheffe de projet "Petites Villes de Demain"

Rencontre avec une figure inspirante du monde architectural : de ses premières aspirations au collège à son immersion dans l'urbanisme et la géographie, découvrez le parcours singulier de Pauline Chavassieux, diplômée en 2016. Elle nous dévoile non seulement les coulisses de son métier au sein du label national “Petites Villes de Demain”, mais aussi sa vision personnelle, influencée par des valeurs fortes d'utilité publique et de responsabilité. Découvrez son parcours dans cette interview !
Pourriez-vous nous décrire votre rôle en tant que cheffe de projet "Petites Villes de Demain" et nous expliquer en quoi consiste cette initiative ?
Bien sûr. "Petites Villes de Demain" est un label initié par l'Agence nationale pour la cohésion des territoires en 2020. Son objectif est de soutenir les communes rurales de moins de 20 000 habitants, qui jouent néanmoins un rôle central sur leur territoire en termes de commerces et de services. L'initiative vise à revitaliser et dynamiser leurs centres-bourgs.
Environ 1 600 communes ont reçu ce label.
Plutôt que de fournir un soutien financier direct, l'État a opté pour un appui technique, d'où la création des postes de chef de projet "Petites Villes de Demain". Cela s'inscrit dans la continuité d'autres initiatives, telles que "Action Cœur de Ville", destinée aux communes plus importantes, et le récent "Villages d'Avenir".
En tant que cheffe de projet, ma mission est d'accompagner les élus dans la concrétisation de leurs projets de redynamisation. Cela couvre un large éventail de thématiques, allant de l'habitat à la revitalisation commerciale, en passant par les équipements publics, l'aménagement d'espaces, le tourisme et la valorisation du patrimoine. Mon rôle est à la fois stratégique, en aidant à définir les orientations politiques, et technique, en soutenant la mise en œuvre concrète des projets, notamment en recherchant des financements.
Quelles compétences et qualités sont essentielles pour exercer votre profession ?
La première qualité indispensable est l'écoute. Nous collaborons étroitement avec les maires et les élus, et il est crucial de traduire fidèlement leurs demandes en projets concrets tout en répondant aux besoins réels des habitants. La polyvalence est également essentielle, car le métier couvre des thématiques variées, notamment techniques, financières, juridiques mais aussi sociales (mise en place des modalités de participation des habitants aux projets). L'organisation est primordiale, car nous gérons simultanément plusieurs projets pour différentes communes. En moyenne, chaque équipe municipale porte 3 à 5 grands projets durant son mandat, chacun avec ses propres échéances et besoins en financement.
Nous jouons un rôle central dans la planification des projets pour les communes, en particulier lorsque celles-ci ne disposent pas de ressources techniques internes. Dans de nombreux cas, nous sommes le principal soutien technique sur lequel les élus peuvent compter.
Où se situe votre lieu de travail principal ?
Nous sommes basés au siège de la communauté de communes de Haute-Corrèze (19). C'est cette entité qui reçoit les financements de l'État, couvrant 75 % de nos postes. Toutefois, je me déplace régulièrement dans les deux communes que j’accompagne, Bort-les-Orgues et Neuvic. Je les visite au moins une fois par semaine, y passant généralement une demi-journée pour assurer le suivi des projets avec les maires.
Être basée à l'Interco est stratégique car nous avons à disposition différents services supports, tels que les services "marchés publics", "juridiques", "urbanisme et habitat", sur lesquels nous pouvons nous appuyer. Cette disposition est le fruit d'une décision politique. Tous les chefs de projet "Petites Villes de Demain" ne bénéficient pas de cette configuration ; certains sont directement rattachés aux communes.
Quels sont les aspects de votre profession qui vous passionnent le plus ?
Ce qui me passionne réellement est le rôle de conseil que je joue auprès des élus pour la concrétisation de leurs projets, ainsi que la proximité directe que cela implique. Étant donné que nous opérons au sein de structures de petite taille, je suis en contact direct et régulier avec les maires, sans intermédiaires, ce qui facilite et accélère la mise en œuvre des projets.
J'apprécie également le défi que représente la matérialisation des aspirations des élus, tout en évaluant les besoins des habitants pour garantir la pertinence des initiatives. Nous veillons toujours à prendre en compte les dimensions à la fois sociales, économiques et surtout environnementales des projets, qui sont souvent délaissées par les élus de communes rurales.
À l'inverse, quels sont les aspects de votre profession qui vous plaisent le moins ?
L'un des principaux enjeux est de s’assurer que les projets soient fortement engagés ou réalisés avant la fin des mandats municipaux. Nous sommes actuellement à mi-mandat, et il y a une pression croissante pour débuter les projets avant l'élection de 2026 sans pour autant que les travaux soient en cours durant la période électorale. Comme l'argent représente le "nerf de la guerre" pour ces communes faiblement dotées, la réalisation de cet enjeu est conditionnée par les financements publics qu'elles pourront obtenir.
Chaque institution, qu'il s'agisse de l'Europe, l'État, de la Région ou du Département, a ses propres procédures et calendriers. Aussi, les fonds disponibles sont de plus en plus limités, tandis que les coûts des projets augmentent, notamment en raison de la hausse des prix des matériaux. Avoir un plan de financement avec 80 % de subventions pour un projet est désormais une réussite (la commune devant toujours financer 20% a minima de son projet).
Comment avez-vous été amenée à choisir votre profession actuelle ?
Dès le collège, j'étais déterminée à devenir architecte, ce qui m'a conduit à opter pour un baccalauréat scientifique malgré mon appétence pour les matières littéraires. J'ai visité les 4 écoles d'architecture de la région et ai finalement choisi celle de Saint-Étienne pour son cadre intime et sa localisation centrale. J'ai intégré l'ENSASE en 2011 et y ai obtenu mon diplôme en 2016.
Durant mon cursus, j'ai effectué une année Erasmus en Allemagne qui m'a sensibilisée à l'urbanisme et à l'aménagement d'espaces publics. Mon projet de fin d'études concernait la recomposition d'îlots urbains anciens du centre-ville de Saint-Étienne. La thématique du déclin des centres anciens, autrement dit de la décroissance urbaine, m'a passionnée, m'orientant vers une réflexion large à l'échelle de la ville plutôt que sur l’objet architectural.
Après une expérience en agence d'architecture, j'ai obtenu un financement pour réaliser une thèse en aménagement/urbanisme. Mon travail de recherche s'est concentré sur la déconstruction urbaine, en particulier d'îlots urbains dégradés dans les centres et quartiers anciens de Saint-Étienne, Roubaix et Toulon. J'ai étudié des projets de déconstruction, c'est-à-dire de démolition minutieuse en cœur d'îlot, visant à y ré-introduire de l'air, de la lumière et des espaces verts, sans nécessairement reconstruire.
Vous avez évoqué précédemment votre choix pour l'ENSASE. Pourriez-vous approfondir les raisons qui vous ont poussé à opter pour cette école en particulier ?
Plusieurs facteurs ont influencé ma décision de choisir l'ENSASE, à commencer par l'idée d'étudier dans une ville de taille modeste, car elle offrait une transition moins abrupte depuis un environnement rural. L'atmosphère familiale de l'école a également été un critère essentiel pour moi, qui favorise une proximité avec le corps enseignant.
Lors de mon arrivée, le département de recherche était en cours de structuration. En tant que doctorante, j'ai eu l'opportunité de contribuer aux activités du Groupe de Recherche en Formation (GRF Architectures & Transformations) avec les autres doctorants, notamment par la création de journées d'études. L'objectif était notamment de faire découvrir la recherche en architecture aux étudiants.
L'approche pluridisciplinaire adoptée par l'école par ses partenariats avec des laboratoires de recherche de l'université Jean Monnet est particulièrement enrichissante. Elle m'a permis d'intégrer un petit groupe d'enseignants-chercheurs avec lequel nous avons organisé un colloque en 2017 puis publié un ouvrage en 2022 ("Déconstruire la ville. Les villes en décroissance laboratoires d'une production urbaine alternative").
Étant l'une des premières à bénéficier d'un contrat doctoral du ministère de la Culture à l’ENSASE, j'ai eu un accompagnement soutenu par plusieurs enseignants, que je remercie, ce qui témoigne de la bienveillance de l'établissement.
Pour conclure, auriez-vous des conseils à offrir aux étudiants ou aux jeunes lycéens qui liront cette interview et qui se questionnent sur leur orientation professionnelle ?
Pour ceux qui aspirent à devenir architectes, il est essentiel de dépasser la vision traditionnelle de l'architecte travaillant exclusivement en agence sur des plans. Bien que cette image soit fréquemment véhiculée, notamment lors des stages en agence, il existe une multitude de façons d'exercer ce métier. La formation en architecture offre un éventail de compétences, allant des aspects techniques à de la construction aux sciences sociales. Cette diversité est une chance, permettant d'explorer différents champs connexes à l'architecture, que ce soit la géographie, l'anthropologie, la philosophie ou d'autres.
Je recommande donc d'expérimenter, de varier les expériences professionnelles pour déterminer ce qui nous passionne réellement. Il est également crucial de se demander "pour qui" (pour une entreprise, pour une collectivité, pour soi…) et "pour quoi" on souhaite travailler (construire des équipements publics, réhabiliter du logement…).
Ces questions invitent à réfléchir sur les valeurs que l'on veut véhiculer à travers sa pratique, qui n'est pas anodine puisque l'architecte laisse une empreinte matérielle dans l'espace. Pour ma part, j'ai choisi le service public car c'est l'intérêt général qui m'anime. Accompagner des élus me donne l'opportunité d'agir sur les modalités de la commande, donc en amont des projets.
Si certains étudiants ont des questions spécifiques sur le doctorat ou le fonctionnement des collectivités publiques, je me tiens à leur disposition pour y répondre sur pchavassieux@hautecorrezecommunaute.fr