Interview Julien CHAZAL : voyages et architecture

L’ouverture sur le monde serait-il un pré-requis dans l’apprentissage de l’architecture? En tout cas, c’est le parti-pris de Julien Chazal, architecte DE-HMONP, qui a exercé en Nouvelle-Zélande, Australie et au Japon avant de terminer ses études en France. Prendre le temps de découvrir et continuer d’apprendre sont sans aucun doute les ingrédients nécessaires à la polyvalence demandée pour un architecte.
Partons à la découverte du métier d’architecte à l’autre bout du monde le temps de cette interview…
Bonjour Julien, pourriez-vous nous parler de votre parcours académique ?
Bonjour, j’ai intégré l’ENSAE en 2004 après mon bac. C’était une année particulière puisque non seulement nous étions en pleine réforme pédagogique et institutionnelle LMD (Licence - Master - Doctorat) mais aussi le bâtiment actuel était en réhabilitation. Je suis finalement sorti de l’ENSASE en 2018 après l’obtention de mon habilitation à l'exercice de la maîtrise d'œuvre en son nom propre (HMONP), soit 14 ans après !
Pourquoi autant de temps ? Je dirai que c’est un mélange de redoublement, de besoin de mûrir, de temps donné à la vie scolaire/associative en étalant les enseignements sur plusieurs semestres et d’années de césure pour prendre le temps de savoir ce que j’attendais du métier avant mon Diplôme d’Etat d’Architecte. C’est également le souhait de multiplier les expériences sur le terrain, à l’étranger entre autres, avant de passer l’HMONP. Avec le recul, c’était une vraie chance car, en plus de bénéficier de regards croisés sur l’architecture grâce aux voyages, j’ai pu rencontrer plusieurs générations d’étudiants et d'enseignants.
Quelles ont été vos destinations à l’étranger et les spécificités du métier ?
Je suis d’abord parti en Nouvelle-Zélande dans une agence familiale : elle, architecte spécialisée dans les bâtiments passifs et/ou en paille ; lui, constructeur spécialisé dans la construction bois. Une agence à taille humaine portée par des valeurs écologiques pour des projets à taille humaine tels que des crèches, maisons et bâtiments associatifs. Le changement majeur que j’ai pu constater porte sur l’évidence de faire appel à l’architecte lors de constructions et la reconnaissance de sa plus-value. Le deuxième changement concerne plutôt les permis de construire dont l’étude est davantage poussée sur le plan technique et au travers d’aller-retour multiples avec la mairie. En Nouvelle-Zélande le dépôt d’un permis de construire est payant et coûte cher !
Puis, j’ai mis le cap vers l’Australie où j’ai intégré une agence à Melbourne avec plus d’une trentaine de collaborateurs. J’ai travaillé essentiellement sur des immeubles de logement et des lieux artistiques. La particularité de cette agence est qu’elle accordait une place importante aux valeurs communautaires et écologiques dans ses projets de logement. Fait encore rare à l’époque pour l’Australie. Un discours fortement relayé par leur propre agence de communication-marketing et largement diffusée dans leur marque employeur. Bénéficier de télétravail, d’une grande cuisine ouverte au public et d’absence d'horaire fixe en 2015, c’est ce qu’on appelle être en avance sur son temps !
Enfin, le Japon m’a ouvert ses portes pour une année. Un rêve qui allait enfin s’exaucer ! Cependant, j’ai vite déchanté face aux conditions de travail. Pour la majorité des agences réputées, le nombre d'heures est pharaonique et le salaire presque inexistant, le tout dans un pays où le coût de la vie est très élevé ! J’ai donc quitté la ville pour la campagne où j’ai délaissé la souris et le crayon pour apprendre avec mes mains au côté d’artisans traditionnels spécialisés en enduit, charpente et permaculture. Le rapport à la matière, à la nature et au temps, plus lent, fut source d’apprentissages pour ma pratique de l’architecture.
Après tant d'expériences, que fait-on une fois de retour en France ?
À mon retour, j’ai passé mon diplôme d’HMONP dans une agence stéphanoise pour ensuite intégrer un bureau de conseil parisien porté principalement sur l’aménagement tertiaire. L’entreprise évolue dans un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) de niche puisqu’elle s’adresse uniquement à des grands groupes souhaitant être accompagnés dans leur stratégie immobilière, l’accompagnement au changement de leurs salariés et l’aménagement de leurs bureaux (travaux compris).
Cette PME regroupe une multitude de métiers : des programmistes, des architectes, des sociologues, des ergonomes, des graphistes, des conducteurs de travaux, des experts en accompagnement du changement, des experts mobiliers, des chefs de projets, des PMO...etc. Pour ma part, j’ai exercé en tant que chef de projet AMO les trois premières années, jusqu’aux années Covid où une grande restructuration a eu lieu en interne.
J’ai alors saisi l’opportunité d’évoluer en tant qu’ingénieur commercial dans cette même entreprise. Un clin d'œil à mes origines, étant issu d’une famille commerçante.
Qu’est-ce que le métier d’ingénieur commercial en architecture ?
L’ingénieur commercial, en tant qu’expert métier, apporte une réponse technique, temporelle et financière aux demandes des prospects. Il est donc plus aisé d’être un bon commercial quand on a déjà pu bénéficier d’une première expérience dans l’opérationnel. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, être ingénieur commercial est avant tout un travail d’écoute pour comprendre les besoins. Puis, ces demandes doivent être reformulées dans une offre commerciale pour donner une réponse la plus adaptée possible, intégrée dans un triangle coût - délai - qualité.
La patience et la résilience sont également deux qualités essentielles pour un commercial qui doit parfois essuyer des refus. Il faut aussi accepter que les relations soient plus courtes que dans le métier d’architecte mais ce qui nous permet de découvrir une multitude de dossiers !
Les architectes ne sont initialement pas de bons commerciaux puisque nous apprenons principalement à concevoir, non pas à se vendre d’un point de vue marketing. Compétence pourtant indispensable si l’on souhaite exercer en libéral !
Quelle est la suite ?
En octobre 2022, j’ai quitté cette entreprise pour me former en tant que consultant immobilier et ajouter une nouvelle pierre à la construction de mon parcours d’architecte. Ce printemps 2023, j’ai rejoint un collectif d’architectes/agents immobilier au sein d’un groupement d’indépendants qui œuvrent dans l’accompagnement de particuliers dans leur projet immobilier. Un format qui me permet d’être plus autonome, à une échelle plus humaine, ce qui me convient davantage à ce jour.
Pour finir, avez-vous un conseil à donner aux jeunes, et moins jeunes, souhaitant exercer le métier ?
Plusieurs mêmes ! Au vu de mon parcours, il me semble évident d’abord de donner le conseil suivant : prendre le temps ! Le diplôme n’est qu’une étape au milieu de bien d’autres. On se construit au fil des expériences et on ne cesse jamais d’apprendre et de questionner constamment ses acquis dans ce beau domaine qu’est l’architecture.
Aussi, il faut oser innover, essayer et se lancer ! C’est un conseil que je tiens de mes expériences à l’étranger, où le rapport à l’échec, versus la réussite, est très différent.
Enfin, il apparaît indispensable de développer son réseau en se frottant à d’autres professions. Le diplôme d’architecte nous offre des compétences utiles dans une multitude de métiers, alors autant capitaliser sur cette chance !
À ce propos, l’association alumni de l’école peut être un bon vecteur pour développer son réseau. D’autant plus qu’elle a besoin de bénévoles pour perdurer et je serai d’ailleurs ravi d’échanger sur ce sujet avec vous.